CINQ HEURES DU MAT'

Passe devant l'hôpital qu'on voit d'partout pour nous rappeler qu'on y passera tous, et tu seras d'retour en ville où les bourges font les courses et les punks mendient, où y'a les clochards dont tout l'monde connaît les noms. J'ai vu Gigi s'ouvrir les veines à coups d'tesson devant l'épicerie, celle qu'est toujours ouverte.

Nom › hasegawa. papa a traversé les continents à dos d'illégalité, pas étonnant que de lui et de son pays, ne reste plus que son nom à elle, fausse gamine d'ailleurs. Prénom(s) › sidonie. folie française sortie de nulle part. faut pas croire, mais les idées bizarres, ça court les veines dans la famille. Âge › le dix-huit tout frais, trop, peut-être. depuis longtemps déjà l'âge adulte collé dans sa tête. Date et lieu de naissance › vingt-six janvier soixante-sept. manhattan, upper east side. rêvez pas, c'était dans la bagnole de papa. croyez bien qu'elle a pas zoné longtemps dans ces rues-là. Statut marital › seule. curieuse. voyageuse. indécise. ça tient jamais la route. et pis d'toute, ils voudraient plus d'elle, s'ils savaient. s'ils savaient. Orientation sexuelle › ori-quoi ? elle les baise tou.te.s. sans mauvais jeu de mot. pas trop l'choix. pas trop l'temps ni l'envie de s'arrêter sur la question après tout ça. Occupation(s) › serveuse au thaï du coin. ça ramène des nouilles gratos à la maison. c'nicky qu'est contente quand elle reprend sid après l'boulot et qu'elle voit des nems pleins ses bras, pour changer. et puis l'weekend, c'est pas nicky qui fait l'ride pour la belle. c'sont tous les moucherons excités par la jeunesse qui lui offrent une place dans leur voiture (quelques billets dans son décolleté). Traits de caractère › blasée, sid. les propos sincères. simples. pas venimeux pour deux sous. un peu sarcastique si fatiguée. l'regard bienveillant. quelque peu lassé. quelque peu agacé. mais toujours à dire, j'suis là pour toi, quand la bouche sortira jamais ces quelques mots. à s'enchaîner aux mensonges et aux dégoûts d'elle-même pour faire passer les autres avant. ça fait rien qu'elle dit, quand on lui demande si ça ne la dérange pas. terrifiée de ne p a s . ê t r e . a s s e z. quelque part, incapable de se laisser aller. Chanson fétiche › celle du fromage sur la rape. ça l'apaise. l'odeur forte de parmesan dans l'air pour accompagner le grattement continuel. ou la musique classique, le genre de trucs que t'entends jamais passer sauf chez mamie, même si elle saura jamais citer un seul nom. ou même la musique hyper répétitive du pacman quand elle accompagne les deux petits monstres à la borne d'arcade. franchement, elle est pas très difficile. tout sauf ce que tout le monde adore. Film fétiche › retour vers le futur. encore une fois, c'est pas vraiment son truc, et c'est un des derniers films qu'elle est allée se taper au cinéma, donc, le plus frai dans sa mémoire. Groupe › cassette détricotée sur le canapé, puis remontée, puis de nouveau déboulée, encore et encore, jusqu'à voir, quand ça pétera. Moodboard › uc. Crédit(s) › uc. orelsan pour les lyrics.

Manhattan › sid elle a peur, vous savez. dans le quartier elle est à peine connue. à peine. du genre, la gamine du bout du palier à qui demander d'aller sortir les poubelles. qui soupirera un quart de seconde et puis s'exécutera pour quelques mercis. et puis la serveuse du thaï, qu'on croit faussement venue de là-bas, à qui on roule parfois de gros clichés. qui dira rien. qui dira jamais rien. sinon, est-ce que vous avez besoin de quelque chose de plus, monsieur ? mais on s'en fout de tout ça. sid elle a peur. les tripes au bord des lèvres de recroiser dans la lumière du jour, les traits de rencontres nocturnes.

Dans ma ville, on traîne entre le béton, les plaines, Dans les rues pavées du centre où tous les magasins ferment. On passe les weekends dans les zones industrielles Près des zones pavillonnaires où les baraques sont les mêmes. On a traîné dans les rues, tagué sur les murs, skaté dans les parcs, dormi dans les squares, Vomi dans les bars, dansé dans les boîtes, fumé dans les squats, chanté dans les stades.

Borderline ›

le timer n'en est pas à sa moitié de vie. tic tac ti-boum. non, pas boum. encore cinq minutes avant d'exploser. regard abaissé. j'passe ma main au-dessus de la vapeur, elle me crame les doigts. j'la retire. spatule. touiller.
l'eau des pâtes a le duvet blanc.
mousse.
vapeur.
crame.
aïe.

j'soupire. relève la tête. par-dessus le muret, nicky affalée dans le divan. à travers le divan. cuisse sur le coussin, pied qui bat la cadence dans l'air. ses bras en croix et sa tête partie en arrière. elle doit compter les gouttes dehors. feuler en retour aux chats qui passent sur la terrasse. la faute à la voisine qui accueille tous les errants du quartier. ça m'arrache un sourire. pas la voisine - n i c k y. jamais à s'foutre là où elle doit. comme elle devrait. cousine impertinente qu'sait servir que les doigts d'honneur. dézinguer ses chances d'avoir un jour sa piaule à elle. et pourtant toujours à l'heure pour m'prendre après l'resto, odeur d'clope froide au lieu des faux sapins brinquebalés au rétroviseur. tout juste la place derrière pour ramener mes cartons de nouilles froides.

mousse mousse mousse.
ça siffle.
j'surveille le timer. encore quatre minutes. ça m'donne le temps d'aller pisser.
j'baisse la plaque de trois crans, étends la hotte sur la vapeur, parapluie de métal graisseux pour pas qu'le plafond s'fasse mouiller. dehors, ça drache toujours sur le sol gris. c'est le monde à l'envers. j'grimace à telle vue.

j'sors de la cuisine, quatre à quatre sur les escaliers, manque de trébucher. — ça va? qui s'époumone depuis l'canapé, à moitié étranglé. ouais, ouais, ça va. pas la peine de gueuler, j'suis à trois pas d'la cuisine, cinq du salon. chez nous on s'la joue mini. minis apparts, minis jobs, minis télés, minis fenêtres minis vies.
sur l'palier, la lumière est toujours allumée. j'passe devant la chambre d'nancy et newt. jumeaux jamais vus en séparés depuis que j'les connais - et probablement d'puis leur naissance. j'ferme doucement la porte. ça crie en coeur dans des aventures à buter des zombies. ils se sont découvert une passion pour ces grands gaillards il y a trois ans, merci jackson, nos oreilles vous saluent. mais ils sont cutes, quand même. quand j'les prends à la sortie d'l'école. une clope de nicky entre les dents. les pans d'manteau resserrés. même s'ils m'causent pas beaucoup. nouilles froides d'après minuit et cousine trop ringarde, ça fait moins rêver que leurs exploits personnels. parfois, j'pense à demander plein tarif à force de faire la nounou.

enfin, soit.
j'vais pisser.
plus d'pq.
noemie a oublié d'aller en racheter.

fuck.

j'reviens à pas de loups jusqu'à sa chambre, fouille ses affaires à la lumière de la lampe des toilettes qui éclaire tout le couloir - j'vous avais dit, ici c'est cosy as fuck. ça serait bien son genre à noemie d'aller se procurer le papier et puis d'le laisser dans l'bordel de sa chambre. le chaos à la hauteur du bordel de sa vie, qu'elle a jamais le temps de récupérer - trop occupée à s'défaire les mains et le dos à la tâche. faut bien nourrir les gosses. ou plutôt, m'donner l'argent, pour qu'moi j'nous nourrisse. mais vous méprenez pas, y'a toujours l'merci de noemie quand elle rentre au petit jour, même bien qu'souvent c'est le sourire attendri qui va avec. le — merci chérie. au bout du coeur. brève embrassade. et puis déjà l'dodo dans son pieu envahi de bordel. et moi qui la regarde longtemps s'endormir, avant d'à nouveau faire chauffer les plaques de cuisson et d'aller ramasser la lessive sale des gosses. ça a l'air inégal même si au fond, pas tellement. parce qu'on pourra dire ce qu'on veut, mais noemie a pas sourcillé quand on m'a refourguée dans ses bras la première fois, y'a plus de dix ans déjà. gamine aux tresses trop noires trop longues et à la jupe toute froissée. pièce rapportée d'une soeur infoutue d'garder ses pensées droites. elle et noemie c'était pas l'amour fou et pourtant, à j'squatte toujours chez ma tante à l'heure d'aujourd'hui sans qu'on me demande rien - sinon faire chauffer les poêles de temps en temps (tout le temps, c'pas nicky qui l'fera). et parfois j'repasse chez maman. parfois. au milieu des vieux et des irrécupérables. quand j'suis prête à croiser son regard absent et ses mains glaciales incapables de câlins. parfois, rarement. (parfois, jamais).

une claque dans la gueule.
t'laisse pas envahir par l'bordel de noemie.
tu t'y perdrais, sid.

j'vais éteindre aux chiottes.
pas de pq. tant pis.
j'redescends les escaliers.
piétine la poussière accumulée.
contourne nicky et sa jambe tango.

cuisine.

fuck.
la mousse a mangé les pâtes.
à côté d'moi, le timer s'agite comme un fou furieux.
je brandis la spatule et pars au combat, mais c'est peine perdue; les nouilles ont suffoqué de ne plus avoir su respirer. y'a plus qu'une chose à faire, l'grand plongeon et puis l'assiette. ça m'rappelle les mouvements précis d'papa quand il voltigeait entre les tables de travail et les fourneaux - avant qu'il s'fasse rattraper par l'immigration et que le resto ferme pour de bon. ses plats sentaient bons la provence. ou l'inde, j'me souviens plus trop. mais quand j'les vois en gros paquet blanc, mes pâtes à moi, j'fais grise mine. toutes molles d'avoir trop barboté. on y plongerait un doigt qu'il en ferait de la pâte à modeler.

tant pis.
bol xl, assaisonnement.
crevettes et scampis.

servis à table façon self-service.
— A TAAAAABLE.
— wow putain j'suis juste à côté !
(nicky qu'est tombée à la renverse. j'ricane).

cueillir mon manteau au crochet.
— j'rentre avec steve, ça sert à rien d'me reprendre.
— sûre ? (dubitative)
— ouais, t'inquiète.

claquer la porte.


marcher dans la rue.
éclater l'bitume.
un peu plus.
à.
chaque.
pas.

rage qu'on réprime.
dégoût parti à l'égout.

ce soir y'aura pas d'nouilles froides.
j'travaille jamais le samedi.
et pis steve il s'est fait virer le mois dernier.

en-dessous de mon uniforme, la robe rouge de noemie.
qu'elle a oublié d'puis vingt ans d'toute façon.
dans mon sac, les aiguilles pour remplacer les baskets.
celles-là étaient à maman avant qu'elle soit clouée au lit.

je compte les croisements. un, deux, quatre.
au bout de la rue, tourner à gauche au lieu d'à droite
l'maquillage trop lourd, les tresses détachées.
la fumée au bec façon nicky.
- paraît que ça leur plaît.

quelqu'un passera me chercher.
une bagnole.
pas l'dépotoir de nicky.
avec un peu de chance
l'employeur sera décent.
(putain tu parles).
avec un peu de chance
il sera rapide.